9h30 : direction le n° 355 d’une rue du XVè arrondissement. C’est là que se joue la destinée de ma fille en cette fin d’année

Dans la voiture je sens le vrai trac. Qui étreint tout ce qui habite en dessous de la cage thoracique. Tout est dur. Le souffle s’arrête à l’arrière de la langue.  Je revis à cet instant précis les minutes qui ont précédées le verdict de mon Bac. Il y a 32 ans. Comme si le temps n’avait rien effacé. Je réalise que les autres matins au volant où j’ai éprouvé cette sensation sont ceux où je suis allée accoucher. Chacune reste une première fois, aucune habituation. Impossibilité émotionnelle de faire confiance tout en se laissant convaincre par sa tête que tout ne peut que bien se passer. Débat stérile, rien n’y fait. La suer est froide.

 

Ma fille est beaucoup plus calme que moi jusqu’au n° 200  de la rue. Elle est anesthésiée. Je suis un feu de glace. Mais elle aperçoit deux camarades sa classe sur le trottoir et c’est parti. Plus calme du tout. Il est 9h56. A 10h, tout sera posté. Nous arrivons devant le Lycée. Un CPE à porte voix dit aux élèves immobiles de se calmer. Lui aussi est atteint. Comment calmer une telle émotion qui ne s’extériorise pas encore. Je dépose ma beauté, je vais me garer. Place miraculeuse. En marchant vers le lycée, je la sens. Cette vague de triomphe. Une délivrance totale et imminente. C’est la seule chose qui me vient. Pas de demi mesure. Je le sens partout. C’est très effervescent. C’est comme une chambre à air qui se gonfle à l’intérieur de moi. Ca n’est pas commandé. L’idée soudain que tout cela peut s’arrêter définitivement dans quelques instants. Par la grande porte. Maintenant.

J’arrive derrière la foule agglutinée dont s’extraient les premiers cris. Un grand gaillard hurle de joie, Je l’ai, je l’ai, je l’ai. J’en ai les larmes aux yeux. Je suis déjà totalement épongée. Liquide. Tout ce bonheur me chavire.

Ma douce ne s’est pas encore immiscée dans la grappe compacte de lecture des affichettes. Trop de monde. Je la suis. Vas y. En fait je n’en peux plus. Elle se retourne le visage défait, je l’ai. JE L’AI. Elle s’échappe du groupe. « Va voir Maman, va voir. » Besoin de validation, de confirmation. Il faut dire que toute cette agitation crée des hallucinations. Impression de ne rien voir. Sur la liste des admis, en toute lettre, son nom et tous ses prénoms :  ADMISE !

Je me retourne, le visage transformé à mon tour. TU L’AS. Je crie. Je l’attrape dans mes bras.Vertige, innondation, submersion, liquefaction, agripage, soulagement. C’est comme un gaz formé de larmes et d’amour propulsé à la surface sans qu’on puisse le retenir à l’intérieur de soi. Je suis sa Maman, ça n’est pas mon bac, c’est le sien. Mais mon pressentiment était juste. C’est maintenant, immédiatement, que la suite se dessine. Pas de rattrapage ou de délai. Ma fille a vaincu cet ennemi qui la menaçait à coup de commentaires débiles de ses professeurs, de bulletins qui ne suffisaient pas, d’écoles à remplacer pour glaner toujours un souffle de motivation que personne n’a su lui proposer plus de deux mois consécutifs. Cette foire à la sanction lui a tellement couté en confiance et en assurance. Notre école est une machine à broyer des énergies différentes et fécondes.

Cette jeune femme est légitimée. Là, sur un parvis en carrelage vieillissant. Beaucoup de succès ce matin. Ces presques adultes sont tellement beaux de leur bonheur. On ne veut plus en partir. Tellement de gens heureux. C’est fantastique un regroupement pareil. Rires, pleurs, fiertés, incrédulité. Il faut s’habituer à tant de choses positives en une fraction de seconde. Tous ces anciens enfants ont été découragés, menacés et effrayés. Et là, ça s’arrête. D’un coup. On rit des notes, des excellentes autant que des médiocres. Soudain plus rien ne se calcule de la même façon. Ce qui est fait est fait, et pour de bon.

 

C’est une folie de voir ce que symbolise ce bac dans notre culture. S’y préparer classe plus qu’il n’éduque à des choses utiles. Mais c’est un rite de passage. Comme si nos enfants revenaient victorieux d’une chasse dans la jungle. Sauf que ça n’est pas avec cela qu’ils ne se nourriront.

 

Les grandes joies sont fugaces. Dans son cas, cette victoire signifie un départ à l’étranger dans quelques semaines, pour plusieurs années. Virage, tournant, destination, modifications, autonomie, nouveauté, abandons, peurs et excitation. A 10 h 01, la vie qu’elle connaissait a déjà changée. Et au passage, la mienne aussi.

 

Quelle journée.

Devenez animateur.trice d’ateliers de psychologie positive
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5 commentaires sur “Admise”

  • Jérôme dit :

    Intéressant cet article. Je ne vais pas vous contredire sur le schéma scolaire. Un machine à formater des élèves à entrer dans une moyenne, un moule. Un système qui ne permet certainement pas à chacun d’exprimer son intelligence de façon créative.
    Le système scolaire ne tient compte que de l’intelligence mathematico-logique malheureusement, essayant de nous faire qu’il n’y qu’avec des bonnes que l’on est brillant dans la vie.

    Par contre je ne vous rejoins pas complètement sur cette phrase : »Mais c’est un rite de passage. »
    L’école n’a rien d’un passage obligatoire, il existe d’autres façons de faire, d’apprendre. A chacun de trouver le schéma qui lui convient qui lui permet d’atteindre ses objectifs.

    Paroles d’un autodidacte.
    Jérôme

  • Benoit dit :

    Merci Florence pour ce récit et l’émotion partagée. Bravo à la lauréate !

  • Isabelle dit :

    Bravo ! Bravo ! 1000 bravos .
    Je me réjouis avec vous de ce si beau succès tant attendu.
    Merci de nous permettre de le partager, je suis fière d’avoir eu la chance de vous connaître toutes les deux. Ce soir je trinquerai à votre santé.
    Belles vacances et beaux projets à partager.
    Isabelle (qee)

  • Aurélie dit :

    Vous avez fait battre mon cœur à votre rythme ! Je me sens soulagée (et un peu nostalgique)à la fin de la lecture. Merci !

  • CLERLAURE dit :

    Félicitations à tout le monde, à votre fille tout d’abord car elle est lauréate, et à vous et votre petite famille également pour l’avoir accompagnée dans cette période cruciale de sa vie…
    Merci de nous avoir permis de partager ce moment si intense au niveau émotionnel et personnel.
    Bonne journée et excellente continuation !!!

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