Ca commence un vendredi soir. Au pied de l’ascenseur, un papier accroché. « Chers voisins, pour enrayer une fuite sur l’une des colonnes d’eau de l’immeuble, nous avons été contraint d’en couper l’alimentation. Veuillez nous excuser pour le désagrément. Passez un bon week-end quand même. »

On tourne à l’envers

En arrivant à la maison, nous réalisons que c’est l’eau de la cuisine et de la douche qui n’arrivera plus pour quelques jours. Et tout se met à tourner à l’envers. Le premier décompte est celui du manque : plus d’évier, de lave-vaisselle et de lave linge, d’éponges et de toilette. Il reste une source d’eau quand même, dans un lave main au bout du couloir, sous le robinet duquel tient à peine un verre à dent.

Immédiate déstabilisation. Les invités du lendemain sont décommandés, l’assiette qu’on vient de toucher n’est plus lâchée, rincée et immédiatement rangée. La tasse a thé durera elle aussi toute la journée. Terminé la ronde des couverts jetés dans l’évier parce que juste utilisés. Le seau retrouve sa dignité.

Ça change tout

Evidement, ça complique. Mais pour être tout à fait honnête, ça change, surtout. Toute la maisonnée doit adapter ses gestes quotidiens et ses réflexes. Chaque automatisme redevient conscient. Conscient car nous y sommes présents, mais conscient, surtout, car il se compare soudain à l’extérieur de l’immeuble, de la ville et de notre système si bien huilé.

Tout saute alors aux yeux. Les quantités d’eaux écoulées, la facilité d’un robinet, les distances inexistantes pour s’approvisionner, le chaud et le froid déclenchés d’un coup de balancier. Je sais que vous rigolez, c’est tellement candide d’oublier même d’y penser. Mais revivre quelques instants de naïveté est un cadeau que je préfère savourer. Tout prend une autre couleur.

Lors d’une panne précédente de la chaudière, j’avais mis trois jours à imaginer apporter la bouilloire dans la salle de bain pour me rincer les cheveux au chaud. Mon cerveau, lui même tellement conditionné, avait tenté de s’habituer à l’eau froide sans même protester, ou surtout, sans même raisonner. Les habitudes nous ramollissent tellement qu’il nous faut un sas d’adaptation pour réactiver tout ce qui dort. Car si une situation dure, arrête-t-on pour autant de se laver au chaud ou de recevoir ?

L’ordinaire devient créatif

Et ça devient même un kif. Les menus se définissent en gestes, la vaisselle se calcule, les trajets s’organisent, les carafes se remplissent, se réchauffent et tout s’économise.

Le meilleur est là. Dans l’entrave du confort, il en existe un tout autre. Celui de vivre avec moins. Celui de vivre même très bien avec moins. L’expérience est rassurante et attachante. Très vite c’est le dehors qui nous semble à plaindre. De tout remplir comme s’il n’y avait de lendemain, endormis aussi face aux gestes de la vie. Et je réalise à mon tour le potentiel d’élan et de vie que donne le simple fait d’être conscient.

Monsieur le plombier, prenez votre temps, pour le moment, je préfère mon verre à dent, il nous rend bien plus vivants.

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