Inclure, une cause nécessaire

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INCLURE

Je ne suis pas une militante de rue et je ne fais pas de politique, cependant mes convictions sont fermes et, si je le peux, je suis prête à rallonger ma route pour souligner ce en quoi je crois.
La question qui se pose pour chacun·e d’entre nous est de trouver comment faire une différence à l’endroit où l’on se trouve, si on souhaite voir le monde changer. Quel son peut-on émettre et sur quelle fréquence pour qu’il soit entendu ? Grâce à l’éducation que m’ont donnée mes parents et à l’engagement intarissable de ma mère, Claude Servan-Schreiber, pour l’égalité des droits des femmes, je n’ai aucune indulgence pour les abus liés aux questions de genre. Vous l’aurez peut-être noté : à notre époque pourtant archi-civilisée, les violences et injustices faites aux femmes continuent, ici comme ailleurs. Et la langue française contribue à laisser planer un voile de normalité sur un traitement très inégal entre les sexes, auquel nous sommes habitué·es, conditionné·es par notre éducation scolaire.


Un peu d’histoire

Les linguistes ont démontré combien le langage formate notre vision du monde et notre rapport à la nature, aux animaux, et aux humains. Dans le latin, qui a servi de matrice au français, le masculin dominait déjà le féminin et le neutre. Puis, au Moyen Âge, l’emploi du neutre, destiné à désigner les objets, les sentiments et les idées, a disparu de notre langue.

Les accords, à partir de là, ont dû se faire avec l’un des deux genres restants, et c’est le masculin qui a primé, comme dans « Ce que tu dis est important ». Le pronom personnel neutre (« el ») est passé aux oubliettes. Il a été remplacé (lorsqu’il fallait mettre un pronom devant un verbe dit impersonnel, comme dans « fallait-il remplacer ? »), par le pronom masculin « il ». Idem pour les verbes météorologiques : « Il gèle », « Il pleut », « Il fait beau ». Mais qui est « il » ? Des pronoms féminins, comme « li » dans « Je li ai donné », disparaissent aussi au profit du masculin « lui » (« Je lui ai donné »).

À la Renaissance, des femmes de pouvoir, dans une bonne partie de l’espace francophone, ralentissent cette tendance, qui reprend ensuite de plus belle, et on retrouve ici la main de Richelieu lorsqu’il crée l’Académie. Chargée de rendre la langue française capable de tout exprimer clairement, celle-ci aplanit les régionalismes, complexifie l’orthographe et renforce la puissance du masculin.

  • Par exemple, c’est la fin des substantifs féminins pour désigner les activités conçues comme revenant naturellement aux hommes : « autrice », « médecine », « peintresse », « poétesse », etc.
  • L’accord se fait « au genre le plus noble », c’est-à-dire le masculin, dans le cas où plusieurs noms se rapportent à un adjectif ou un participe : « Les hommes et femmes étaient très beaux. »
  • Le féminin est passé sous silence quand on évoque des groupes mixtes : « Mes oncles et tantes sont venus de loin. »
  • Le pronom attribut « la » disparaît. Désormais, les femmes ne diront plus « Je suis veuve et je la resterai », pourtant pendant exact de « Je suis veuf et je le resterai ». 

Tous les participes sont désormais au masculin quand ils sont placés en tête de leur groupe : on écrira « Excepté ma mère », mais « Ma mère exceptée ». Dans chaque cas, la puissance ou la présence du féminin a régressé, et celle du masculin a augmenté. L’apothéose, c’est lorsque, en 1694, dans le premier dictionnaire de l’Académie, la définition du mot « homme » renvoie à l’humanité en général, soit aux deux sexes. Nous devenions invisibles. L’école obligatoire va propager cette inégalité par la grammaire. Comme, « mille princesses et un taille-crayon sont avalés par un monstre », le masculin d’un seul taille-crayon l’emportera toujours. Depuis, les règlements, les lois et les constitutions sont écrit·es au masculin. Parce qu’« il » en est ainsi.

En 1984, quand Yvette Roudy, première ministre des Droits de la femme, crée une commission de terminologie du vocabulaire employé pour décrire les activités des femmes, elle espérait simplement renommer au féminin les métiers que nous exerçons. Mais l’Académie française s’y est opposée, la traitant de « précieuse ridicule ».

Trente ans plus tard, en 2014, l’Académie rappelle dans une note envoyée aux municipalités qu’il convient d’appeler une femme élue « Madame le Maire ». En février 2019, enfin, les « immortel·les » votent en faveur de la féminisation des métiers, des fonctions et des titres. La même année, la philosophe et philologue Barbara Cassin est la neuvième femme seulement à faire son entrée sous la Coupole. Quand cesserons-nous de compter le nombre de femmes accédant à nos institutions ? »

L’écriture inclusive

L’écriture inclusive consiste à inclure systématiquement le féminin dans la langue française. Par exemple, en féminisant le nom des métiers. Ainsi, je ne suis que depuis peu légitimement professeure de bonheur et auteure. On utilise aussi le mot « humain » pour parler de l’ensemble d’une population, et notre Déclaration universelle favorite est devenue celle des « droits humains ».

Quand on s’adresse à un groupe, on fait apparaître le masculin et le féminin dans un seul mot grâce à un signe de ponctuation : le point-milieu ou point médian que vous avez rencontré au fil de ce livre. Il faut reconnaître que c’est laid, long, lent et fort incommode d’écrire en inclusif. Le texte est aussi plus difficile à lire. On s’expose à une gymnastique grammaticale fastidieuse, confirmant mon dépenchant pour l’orthographe. Je l’ai fait pour nous, vous mes sœurs, pour nos filles et nos fils, sachant que ce qui est neuf aujourd’hui se normalisera demain et que rien ne changera si on ne change pas quelque chose. 

L’ambition de cette écriture n’est pas de se compliquer la vie par principe, mais de matérialiser l’égalité dans nos esprits et dans la société. Si le féminin a autant d’importance que le masculin dans une phrase, les filles seront plus facilement considérées égales aux garçons, les violences à leur égard diminueront, etc. L’Académie française continue à considérer d’ailleurs que cette écriture met notre langue en péril. Le contraire nous aurait surpris·es et la punk intérieure que je suis s’en réjouit. Ne lâchons rien, mes ami·es, et incluons. 

Ne cessons pas le combat !

Extrait de :
Bloum ! Ecrire pour s’épanouir et kiffer
Florence Servan-Schreiber
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Publié le 3 novembre 2023

Devenez animateur.trice d’ateliers de psychologie positive
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