Illustration Aurore Petit pour CLES

La conversation silencieuse

Chronique CLES
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Je chine. Souvent. Je déniche et je furète. Mon œil frise en scrutant et mon cœur palpite. Ils me signalent les perles rares, l’anticonformisme et le kitch. Je vais à contre-courant : je remonte le passé pour vivre dans le présent.

Samedi dernier, j’étais en tournée. Une pièce chez moi s’étant vidée, j’avais pour mission de la remeubler. Je choisis mes quartiers, j’alterne les marchés du hasard et les boutiques spécialisées. C’est sur la façade de l’une d’elles que j’ai vu le panneau : « A céder ». Les bras m’en sont tombés. Je suis une habituée. Je rentre.
« Mais que se passe-t-il ?
– Je ne tiens plus. La dégringolade est sans fond, je dois m’arrêter là. Trop cher, trop peu d’affaires » , me dit la tenancière. Au mur, ses œuvres d’art, ses choix qui m’émoustillent, ses créations et réhabilitations. J’aime tout ici.
Je proteste, comme un enfant qu’on abandonne. Nous parlons de ses difficultés, de l’évolution du quartier, de la crise, de sa fatigue, de ses peurs, de son impatience à trouver une solution. Je lui commande un panneau peint du mot MERCI afin de lui témoigner ma gratitude pour toutes ces années.
Jusqu’à ce jour, Dominique et moi ne nous étions jamais vraiment parlé. « Je vais prendre celui-ci » était la base de nos rapports. Elle s’appliquait à son travail pendant que je scrutais ses trouvailles. J’ai suivi son déménagement depuis la boutique voisine, son passage à la couture, puis l’arrivée de ses peintures. « Vous avez été l’une de mes premières clientes » , m’a-t-elle alors avoué. Elle aussi, mine de rien, me regardait et me reconnaissait.
Et voilà comment se sont écoulés quatorze ans d’un pas de danse qui n’étreint jamais son cavalier. Se reconnaître sans se connaître. Lors de nos rencontres, je me savais accueillie et elle se sentait soutenue. Je trouvais des surprises, elle écoulait sa marchandise. Je complimentais et elle emballait. Nous avons ainsi entretenu une conversation silencieuse à propos de ces goûts et couleurs qui ne se discutent pas.
Pourtant, la vibration de choix communs est un vrai lien. Les affinités se créent précisément autour des goûts partagés. Combien de lieux, relations ou commerces fréquentons-nous sans mesurer ce qu’ils ont de particulier pour nous ? Les chaînes impersonnelles ne créent pas ce genre de liens.
Mon tempérament n’est pas nostalgique, mais cette fois-ci la déception m’étreint. J’ai tant aimé traîner ici mes racines que j’y venais me ressourcer. Il aura fallu l’annonce de ce péril pour nous apprivoiser et la vraie leçon est celle-ci. Dominique, méfions-nous du temps perdu et acceptez que je vous le redise ici : vous allez beaucoup me manquer.

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